22 Déc Idées reçues et éclaircissements sur notre métier
CORRECTEUR
LES DÉFINITIONS DU MOT CORRECTEUR
ET L’IDÉE LIMITÉE QUE LES DICTIONNAIRES PEUVENT DONNER DE CE MÉTIER
CORRECTEUR :
Personne chargée de signaler les erreurs survenues lors de la composition d’un texte. (Larousse)
Personne qui corrige les épreuves d’imprimerie. (Le Petit Robert)
Personne chargée de corriger les épreuves d’imprimerie. http://www.linternaute.com
Celui qui corrige les épreuves dans une imprimerie. https://fr.wiktionary.org
Personne qui corrige les épreuves dans une imprimerie. http://www.notrefamille.com/dictionnaire
À lire leurs définitions sommaires, il semblerait que la plupart des auteurs de dictionnaires imaginent encore le correcteur à l’œuvre au fond de l’atelier de Gutenberg… le porte-plume à la main, voire la tête dans les cassetins !
Nous serions tentés de nous contenter de la définition quelque peu simpliste de notre cher bon vieux Larousse et à celles qui nous sont proposées par les autres dictionnaires. Gardons-nous-en bien, car, en effet, ces définitions sont concises, pour ne pas dire succinctes et fort incomplètes, donc fausses. De plus, elles minimisent la fonction même du correcteur, tendant presque à assimiler la tâche de ce professionnel à un simple « nettoyage » des erreurs de frappe ou d’orthographe du texte. Or, ainsi que nous le verrons plus loin, la fonction du correcteur ou de la correctrice ne se limite pas (plus) à cela, tant s’en faut !
Arrêtons-nous un instant, non sans sourire, sur la longue définition « datant un peu » (les citations datent du XIXe siècle), voire carrément obsolète, qui nous est fournie par le Centre national de ressources textuelles et lexicales et que je reproduis ci-dessous :
« TYPOGR. Ouvrier spécialisé qui, dans une imprimerie, est chargé de lire et de corriger les épreuves. »
Les correcteurs ont deux maladies, les majuscules et les virgules, deux détails qui défigurent ou coupent le vers (Hugo, Corresp.,1859, p. 298).
Rem. 1. a) D’après la fonction, on distingue du correcteur qui révise les épreuves d’un journal le correcteur de labeur qui révise celles d’un ouvrage. b) D’après la hiérarchie on distingue les correcteurs en première (première épreuve), les correcteurs en second (ou en bon à tirer), les correcteurs en tierce (après la mise sous presse). 2. Le correcteur femme existe aussi; mais cette espèce, du reste très rare, travaille non pas dans l’atelier typographique, mais “au bureau du patron ou du prote”. (d’apr. Boutmy, Typogr. Paris., 1874, p. 29). Sainte-Beuve dans la salle à manger, en famille, avec son secrétaire Troubat, sa correctrice d’épreuves, sa maîtresse.
(Goncourt, Journal, 1867, p. 365). »
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/correcteur
PETITS ET GRANDS MAUX DES « MÉDECINS DES MOTS »
On notera dans la citation qui précède la petite phrase teintée d’humour de Victor Hugo et celles, quelque peu « machistes et rétrogrades » de M. Goncourt et d’un certain M. Boutmy (ce dernier me semblant néanmoins, et c’est fort heureux, être tombé dans les oubliettes de l’histoire).
LA DURE LOI DE LA JUNGLE
Ces travailleurs, qu’ils fassent partie du Livre* ou du Labeur*, qu’ils travaillent en entreprise ou à domicile, ont de plus en plus du mal à faire reconnaître tant leur valeur que l’extrême nécessité de ce poste subalterne (ce qui ne veut pas dire inutile). Or il va de soi que le correcteur doit être – et se sentir – partie intégrante de l’équipe éditoriale, sachant que sa connaissance des règles d’orthographe et de typographie ainsi que sa maîtrise de la langue française sauvent chaque jour la mise aux plus grands écrivains comme aux plus réputés chroniqueurs…
Dans le domaine de l’édition et celui de la presse quotidienne par exemple, le poste du correcteur est parfois jugé gênant (à quoi bon corriger, cela fait perdre du temps et de l’argent, voyons !), voire carrément superflu ! Certains postes, notamment dans la presse, ont été bel et bien supprimés, laissant au lecteur le soin de corriger lui-même ! Que de correcteurs et de correctrices salariés ont été jetés aux oubliettes du Pôle emploi ces dernières années ! D’autres se sont transformés en autant de CDD ou d’auto-entrepreneurs, engendrant des situations à tout le moins précaires. Partout, le poste de correcteur est minimisé, le délai lui étant accordé pour réaliser son travail est raccourci, j’en passe et des meilleures…
En faisant le choix de sacrifier le poste du correcteur sur l’autel de la rigueur financière, les maisons d’édition, les journaux, les revues, etc., réalisent, sur le dos des correcteurs mais aussi, ne l’oublions pas, sur celui de leurs lecteurs, de substantielles économies !
La création de statuts plus précaires que celui de salarié (micro-entrepreneur, auto-entrepreneur par exemple) a favorisé, comme on l’a vu précédemment, l’exploitation d’une masse de travailleurs – et surtout de travailleuses – à domicile, qu’ils soient demeurés salariés ou qu’ils aient été contraints de créer une entreprise pour échapper au chômage.
Les auto-entrepreneurs sont devenus fort nombreux dans la branche. Hélas, tous ne sont pas qualifiés ni même suffisamment formés… Il s’ensuit actuellement une “guerre des tarifs” tendant à favoriser l’obtention du prix le plus bas, au détriment des notions de qualité de service et de “travail bien fait”, ainsi qu’une “bataille des délais” qui a pour conséquence une amplitude des horaires de travail peu compatible avec la dignité et la santé humaines. Il n’est pas rare qu’une journée de “correcteur stakhanoviste”, que cela soit volontaire (ce qui est rare) ou qu’il y soit forcé par les circonstances, commence à 6 h du matin et se termine à 22 h, voire davantage. Le lendemain, le correcteur se désole de ne rien voir arriver sur son bureau et culpabilise ! Il lui arrive aussi de se voir contraint de travailler sept jours sur sept pour « tenir les délais », en cas de surcroît de travail, pour ne pas dire « non » à un client de longue date, pour rendre service.
Tout cela est fonction des délais requis, ou plutôt imposés, par les « clients », les vrais employeurs ou les employeurs transformés en pseudo-clients.
LA FÉMINISATION DE LA PROFESSION… UN BIEN ET UN MAL
Les progrès sociaux du XXe siècle ainsi que la féminisation du monde du travail ont permis aux femmes d’accéder à ce type d’emploi au point d’y devenir de plus en plus nombreuses, dépassant même, aujourd’hui, le nombre de leurs collègues masculins. Ce phénomène expliquera par ailleurs, sans pour autant le justifier, celui de la rétribution demeurée aujourd’hui modeste de ces ouvriers et ouvrières qui travaillent non seulement “de la plume”, mais aussi “du chapeau” et toujours dans l’ombre qui d’un écrivain, qui d’un journaliste, qui d’un imprimeur (de plus en plus rare), etc.
Cette situation ne s’est pas améliorée au fil des décennies, bien au contraire ! Il nous faudra attendre le jour où le travail de la femme, ses qualifications et ses besoins financiers seront, dans les esprits et les actes et non pas simplement dans les beaux discours, jugés égaux à ceux de l’homme. La femme elle-même n’étant pas étrangère, hélas, à cet état d’esprit rétrograde qui veut que les revenus qu’elle procure par son travail soient des revenus d’appoint… Cela demande mûre réflexion et relève d’un autre débat.
UNE GUERRE MENÉE AU NOM DE LA QUALITÉ
Depuis qu’il est possible à tout un chacun de publier, presque « en direct », par le biais d’Internet et de sites spécialisés dans l’édition, un roman, un essai, un ouvrage didactique, un recueil de poèmes, etc., force nous est de constater que l’absence d’un correcteur humain digne de ce nom se fait lourdement sentir, au détriment de la grammaire, de l’orthographe, de la typographie, de la syntaxe et de la langue française dans tout ce qu’elle a de grand, de noble et de beau.
UN BESOIN DE PLUS EN PLUS IMPORTANT
Autre conséquence tant de la vulgarisation de l’ordinateur que de la paresse intellectuelle et du défaut d’apprentissage général : il y a de plus en plus de fautes dans les écrits, avant relecture-correction s’entend. Il reste aussi des fautes dans les ouvrages publiés, vous l’aurez certainement vous-même constaté. Pour des raisons économiques, les maisons d’édition, les maisons de presse, les agences de communication, etc., au mieux ne font relire qu’une fois (le plus vite et le moins cher possible), au pire se passent parfois carrément des services des correcteurs. On imagine facilement le résultat : des livres, des journaux, des revues, des sites et des blogs « truffés » de fautes ! (voir à ce sujet l’article « À qui la faute » extrait de la revue Que choisir ?). Il n’est pas rare, notamment lorsque le correcteur travaille sous statut de travailleur indépendant, qu’il ait affaire à des auteurs « auto-édités » (payant pour être publiés…) peu scrupuleux, persuadés parfois d’avoir « pondu » LE roman du siècle et qui se reposent grandement sur les épaules, les savoirs et les savoir-faire du correcteur. Au passage, ils n’oublient pas de lui demander d’accorder le tarif le plus bas possible, au ras des pâquerettes parfois, et les échelonnements de paiement qui vont avec… « Vous, comprenez, je suis au chômage… » ou encore « je suis étudiant. »
UNE TÂCHE TOUJOURS PLUS ARDUE
Le progrès technologique que représente la possibilité pour qui que ce soit, entreprise ou simple particulier, d’utiliser un ordinateur personnel a entraîné de profonds changements en ce qui concerne le travail des correcteurs. Si, il y a seulement quelques dizaines d’années, les textes, quels qu’ils fussent, étaient encore saisis par des personnels spécialisés (linotypistes, clavistes, opérateurs PAO, graphistes…) formés tant aux règles d’orthographe, de grammaire que de typographie et de mise en page, aujourd’hui, il en est hélas tout autrement ! Le travail du correcteur s’en est trouvé considérablement alourdi et ses tâches sont devenues multiples. En peu de mots, il doit tout contrôler ! De plus, rares sont les auteurs et les « gens de métier » (rédacteurs professionnels des agences de communication ou les journalistes) qui maîtrisent ces diverses règles. Tous s’en remettent bien souvent au correcteur, lequel, placé presque au bout de la chaîne graphique, doit souvent rattraper les retards pris par les uns et les autres.
LE FRANÇAIS RÉVISE SA COPIE…
… CE QUI N’EST PAS FORCÉMENT DU GOÛT DES CORRECTEURS…
L’avènement, dans les années quatre-vingt-dix, de l’orthographe dite « rectifiée » n’a pas arrangé les choses, tant s’en faut ! Force nous est de reconnaître que, née de la volonté de simplifier l’orthographe, elle l’a plutôt compliquée, faute d’avoir su imposer et s’imposer.
Il nous faut bien convenir que rares sont ceux qui l’emploient. Pire encore, certains auteurs, tous types de plumes confondus, prennent un malin plaisir à mélanger dans leurs textes orthographe « traditionnelle » et orthographe « rectifiée », selon l’inspiration du moment sans doute.
Il y a quelques mois, j’ai eu à corriger un manuel de français pour les classes de 5e. L’éditeur m’a demandé de respecter les règles de l’orthographe rectifiée qui est celle enseignée aux jeunes élèves. Soit, quelque peu à contrecœur, je me plie à son exigence, c’est lui qui paie après tout. Néanmoins, parvenue à l’endroit où l’on cite un long passage d’une œuvre antérieure à 1990, que ce soit un écrit de Victor Hugo, de Verlaine, de Zola, voire, plus près de nous, de Camus ou de Sartre, que dois-je faire ? Je ne vais tout de même pas employer cette « nouvelle orthographe » qui n’est ni celle employée par ces auteurs ni celle que les adolescents retrouveront dans les livres achetés en librairie ou empruntés à la bibliothèque. Je conserve, voire je corrige, en privilégiant alors l’orthographe de « mamie » pour les textes anciens. J’obtiens donc, le travail fini, un manuel où il y a un peu de tout et n’importe quoi en matière d’orthographe.
Un autre éditeur à qui je posais un jour la question (il publie des livres de contes pour enfants) m’a demandé un jour d’employer l’orthographe « réformée », par la force des choses. Quand il a vu ce que cela donnait, il m’a fait revenir en arrière !
Messieurs les Académiciens, vous ne nous avez pas facilité la tâche !
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